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De la harpe celtique est née une femme faite homme

Il y a trop peu de films où la femme est à l'honneur. Et quand j'entends parler de la sortie d'une telle histoire, je me précipite dans les salles obscures.

Albert Nobbs est de ceux-là. Il est même un ovni dans l'univers du cinéma d'aujourd'hui. Il est à souligner qu'il est co-produit et co-réalisé par son actrice principale, Glenn Close, qui s’évertua à lui donner corps durant plus de trente années d'un long combat pour immortaliser ce cher Albert sur la pellicule.

Au tout début il y eut un roman qui devint une pièce de théâtre jouée en 1982. Glenn Close obtint même un Obie, ce fameux trophée décerné aux spectacles Off de Broadway à New-York.

Miss Close aurait pu en rester là mais c'était sans compter sur l'impact qu'eut Albert Nobbs sur son interprète.

Après l'avoir incarné comment peut-on s'en défaire ? Comment peut-on reprendre sa vie sans un émoi et une profonde compassion pour cette femme d'un autre siècle ? Car Albert Nobbs est bien une femme dissimulée derrière des vêtements d'homme pour cacher sa     féminité bafouée.

Glenn Close dira à la sortie du film : Lors des représentations théâtrales le personnage suscitait la compassion et l’intérêt du public.

 

Albert Nobbs nous apparaît impassible, presque évanescent tellement il veut se faire oublier. Il ne réagit pas au monde qui l’entoure, sauf pour faire son travail de majordome dans le grand hôtel où il officie. Il semble  détaché de la réalité, presque spectral, tant il parait ne pas avoir d’attache avec cette pesante réalité d’une Irlande en proie au chaos de la misère des rues gorgées d’une profonde pauvreté. Mais derrière ce masque d’inertie, presque morbide, se dresse une femme à la volonté tenace ; fuyant la misère de sa vie en s’en imaginant une autre bien plus attrayante. Elle se voit maîtresse d’une boutique de tabac au cœur de Dublin.

 

Elle connaît enfin l’endroit où elle pourra s’établir. Elle s’y égare parfois en rêvant devant la vitrine d’un   ancien   commerce. Elle voit de la beauté où nous ne voyons que pestilence. C’est le seul moment où Albert laisse tomber le masque et que l’on peut voir l’enfant qui n’a jamais cessé de sommeiller en son être et qu’elle a dû abattre pour survivre dans ce monde en proie à la laideur.

 

Au travers de cette candeur, elle se croit seule à se travestir pour survivre dans ce monde qui ne tolère la femme que pour des tâches subalternes, ne demandant aucune réflexion. Jusqu’au jour où madame Baker, la  gérante de l’hôtel, se prend l’envie de faire repeindre une pièce de la demeure par Monsieur Page. En imposant à Albert de partager sa chambre avec Hubert Page, elle sera découverte par ce dernier.

 

Albert, terrifié le suppliera de garder le secret sur sa féminité, sachant que les lois des hommes la condamneraient à l’hospice, ou pire encore, pour avoir trompé son monde durant plus de trois décennies. Elle se confondra tant en suppliques qu’Hubert soulèvera sa chemise pour dévoiler une poitrine affriolante. Sans dire un mot, Hubert sortira de la pièce en laissant Monsieur Nobbs décontenancé.

C’est ainsi qu’Albert découvrira qu’elle n’est pas la seule femme à se grimer pour subsister. De ce jour, elle n’aura de cesse de comprendre pourquoi Hubert a décidé lui aussi d’être un homme.

Nous découvrons l’histoire de cette singulière « Monsieur Page », mariée à un homme, battue par cet homme, et contrainte à une vie de servitude. Un jour, elle décide de fuir emmitouflée dans le manteau de son époux ivre mort. Elle décide de se faire appeler Hubert Page et de prendre sa vie en main avec une autre femme. Ensemble elles entameront une vie maritale à ciel ouvert, sans que personne ne soupçonne qu’Hubert est toute autre.

 

Si l’histoire d’Hubert est presque idyllique, il n’en est rien de la vie d’Albert, quand en visite chez les Page, elle exprimera avec tant de souffrance, contenue par une pudeur alarmante de calme, le calvaire qu’elle vécut à l’âge de quatorze ans quand elle fut violée par cinq hommes qui la laissèrent presque morte.

Sans famille, sans espoir, sans vertu, elle  prendra corps dans la dépouille ensanglantée d’un homme imaginaire et ne quittera plus jamais cette arme qui lui assure sa sauvegarde dans sa chair et dans son âme.

 

C’est ainsi, au sein d’une fracassante confession qu’on comprend son regard vidé de toute chaleur qu’elle prône depuis le début du film. Ce masque a été son salut, la préservant de ce monde d’hommes dont elle ne connaît que la cruauté.

 

Une séquence du film que j’aime particulièrement est celle où Hubert et Albert sortent vêtues d’habits féminins. Et c’est là qu’est toute l’ironie, car elles  semblent vraiment travesties tant elles n’ont aucune aisance à être femme. C’est en hommes qu’elles se réalisent et ne sont que gaucherie dans leurs atours féminins.

J’aime quand Nobbs court sur la plage affublée de cette robe, son visage empli de bonheur et puis ce regard qu’elles échangent en prenant conscience qu’elles n’ont, en réalité, jamais abandonné l'idée d’être un jour des femmes.

A compter de ce jour, Albert ne cessera plus de    rêver à sa boutique en  nourrissant l’idée de proposer à la jeune servante Helen Dawes de partager sa vie ; comme si, après avoir gardé ce lourd secret, elle se prenait à croire encore plus fort à une vie maritale. Dans sa chimère salutaire, Albert perd de vue qu’elle risque la mort si jamais on la découvrait. Après tant d’années à se taire, Monsieur Nobbs se plait à croire à son propre bonheur en oubliant la cruauté de la ville ; en oubliant la prudence, mère de sûreté. Mais après tout, que vaut une vie si elle est dépourvue de rêve et de passion ?

 

Moi, j’ai voulu de tout cœur qu’Albert se réalise. Comme elle, j’ai cru qu’elle atteindrait ce bonheur d’être enfin débarrassée de la servitude et qu’elle coulerait des jours heureux avec la gentille Helen. J’ai cru à cette échappatoire car on  s’attache à elle et on veut le meilleur pour Albert, même si elle doit être condamnée à porter l’habit d’homme.

Cependant, l’auteur en décida autrement…

 

Albert Nobbs, sortit au cinéma en février 2012, n’eut pas le succès qu’il méritait. Peu de salles le diffusèrent en France. Il fut comme une étoile filante dans la jungle impitoyable des films ayant une meilleure couverture médiatique. J’ai eu la chance de le voir la première semaine de sa sortie. J’ai ressenti si vivement sa souffrance, sa candeur, puis son désarroi, et enfin ce sourire qu’il prône avant de s’endormir.

 

Ce film m’a touché avant tout parce qu’il est encore d’actualité.

De nos jours, quelque part dans le monde, des femmes se battent pour avoir le droit de porter le pantalon, de vivre à visage découvert, de pouvoir apprendre à lire et à écrire, de se réaliser dans les bras d'un époux qu'elles ont choisi, d’avoir le droit de faire du sport et surtout d’avoir le droit de travailler dans le domaine de leur choix…

Merci Glenn Close d’avoir porté durant trente ans ce projet dans votre cœur, puis acheté les droits d’adaptation il y a quatorze ans et tenu bon pour nous le servir avec toute votre grâce, votre talent et votre énergie intarissable de femme engagée.

 

Procurez-vous le film au pas de course et plongez dans cette Irlande belle et cruelle d’une fin de siècle qui s’apprête à connaître bien des conflits...

Albert Nobbs est réalisé par Rodrigo Garcia et produit par l’Irlande, la Grande Bretagne et la France.

 

Le roman est écrit en 1918 par le romancier irlandais George Augustus Moore.

 

En février 2012, les actrices principales ont été nominées pour l’Oscar dans la catégorie meilleure actrice pour Glenn Close et dans la catégorie meilleur second rôle féminin pour Janet McTeer.

Le film a concouru dans bon nombre de festivals à travers le monde et remporta de nombreux prix.

Distribution des rôles :

Glenn Close incarne avec brio Albert Nobbs

Janet McTeer interprète subtilement Hubert Page

Mia Wasikowska est la belle servante Helen Dawes

Aaron Taylor-Johnson joue le jeune joe Mackins

Pauline Collins la véreuse Madame Baker

Brenda Fricker est la femme de chambre Polly

Brendan Gleeson incarne le gentil docteur Holloran

Mark Williams le sympathique majordome Sean

Le vicomte Yarrell est joué par Jonathan Rhys Meyers qui fait ici une petite apparition.

Article et Illustration de Cieli

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